Commercialiser l’amour: pratique durable et éthique?

L’origine antique de la Saint Valentin serait d’ordre dionysiaque, une célébration érotique de la fécondité future du printemps et du vivant. Plusieurs siècles passèrent jusqu’à une adaptation de cette pratique païenne par l'Église, qui, condamnant les « valentinages », y préférait un amour plus pieux et sous l’égide du Saint martyr Valentin. Mais cette fête restait assimilée aux cycles naturels, notamment celui de l’appairage des oiseaux.

Le Saint Patron des amoureux ne semble avoir déclenché que très récemment une pulsion pour les présents. Le 19ème siècle a été la scène d’une transmutation de l’amour en un échange commercial de lettres et cartes illustrées ; jusqu’à ce que l’alchimie capitaliste ait graduellement tourné Cupidon en un symbole matérialiste qui atteint son paroxysme aujourd’hui.

Quelques jours avant l'événement, je rencontre déjà des injonctions à offrir un cadeau inoubliable à l’être cher: roses, chocolats et autres packagings emplis de cœurs et de belles intentions. Pourtant, ce mode saisonnier de consommation se détache des saisons et des enjeux sociétaux contemporains.

Alors cherchons les raisons ayant poussé Cupidon à se tirer une flèche dans le pied. 

Des cadeaux d’amour “hors du temps”, mais souvent “hors-saison”

La National Retail Foundation (NRF) estime cette année les dépenses pour le 14 février à 14.2 milliards de dollars aux Etats-Unis, avec des intentions d’achat focalisées dans un ordre décroissant sur les chocolats, les cartes, les fleurs, une soirée en amoureux, des bijoux, des vêtements et enfin des bons-cadeaux (1). Dans un soucis de désenchantement du monde et de synthèse, je ne me pencherais pas sur tous les types de cadeaux existant, mais souhaitais couvrir deux secteurs que j’ai pu analyser auparavant.

En premier lieu, les fleurs représentent une grande part des ventes lors de la Saint Valentin, avec en tête de liste les roses rouges. Spoiler alert: ces fleurs ne poussent pas en hiver. Elles sont donc cultivées sous serres chauffées ou importées, le plus souvent par avion. Une étude sur le territoire américain estime la production d’émissions de dioxyde de carbone liées aux roses de la Saint Valentin équivalente aux émissions de 2500 automobilistes en un an (2). Si leurs pétales sont rouge, leur coeur semble noir charbon et malheureusement souvent emplis de pesticides.(3)

Les bijoux ont eux aussi des aspects moins brillants. La traçabilité de l’or et des pierres précieuses, complexe, amène à nous interroger sur plusieurs enjeux. Les conditions de travail et la juste rémunération des mineurs en sont le centre, lorsque Human Right Watch estimait notamment en 2018 à 1 million le nombre d'enfants travaillant dans la filière du diamant dans le monde (4). Les émissions du secteur de l’or représentent à elles seules 126 millions de tonnes de CO2 en 2022 (5), et sont majoritairement délétères lorsque l’extraction se fait de façon incontrôlée, voire illégale, avec l’usage de mercure pour agglomérer et récupérer la précieuse ressource.

De la norme binaire à celle individualiste

La représentation de l’amour dans la Saint Valentin rappelle celle d’un modèle rigide où les deux genres sont généralement assignés à des fonctions bien distinctes: un homme a pour coutume d’offrir à sa bien aimée un superbe bouquet, accompagné de chocolats voire d’une bague dans l’espoir qu’elle dise oui. Une image clairement véhiculée par la pop culture et les publicités encore aujourd’hui, en grande majorité hétéro-normées avec un soupçon de patriarcat (6).

La NRF a cependant identifié de nouvelles manifestations de Cupidon, qui, n’ayant plus de paires de flèches à son carquois, a ciblé les célibataires endurcis. L’étude estime en effet que 3% des achats du 14 février portent sur des dépenses “anti-St Valentin”, et 15% sur des dépenses “faites vous plaisir” (1). Une approche individualiste, ou presque, lorsque l’on voit la marque Animalis proposer un moment toilettage et bien être pour les canidés et leurs propriétaires (7).


A nous autres consommateurs: le retour du sens 

Pour de nombreuses occasions, il peut exister de plus en plus de tensions entre le désir de faire plaisir à l’être cher, et le doute persistant sur la réelle utilité, voire l’impact du cadeau à l’échelle de notre planète. Sans s’enfoncer dans une culpabilité stérile, réintégrer le sens même du cadeau est donc important dans notre processus de décision. 

  • Dans le cas précis de la Saint Valentin, la célébration de l’amour a une portée symbolique beaucoup plus large que celle matérialiste ou restreinte à un couple.

    Lorsque l’on rappelle les concepts philosophiques d’Eros, Philos, voire l’Agapè, on se rend compte de l’immense spectre qu’est l’amour, et sa fonction principale de lien social puissant, que ce soit avec son partenaire ou des amis.

    La NRF estime d’ailleurs que près de 11% des consommateurs sont prêts à partager cette fête avec des proches autres qu’un conjoint (1). 

    Intégrer que le cadeau n’est pas une fin mais un moyen de célébrer un lien fort, semble être une étape clé pour contrebalancer les injonctions aux achats. 

  • Marquer l’évènement par un présent matériel est bien évidemment possible. Mais ce dernier peut se traduire dans un format alternatif aux objets des publicités, qui biaisent notre jugement et nos informations sur le sujet.

    A la rose, préférez le mimosa (3). Ou bien optez pour des graines paysannes de fleurs mellifères, à semer avec votre proche pour profiter d’un bouquet vivant à tout point de vue. Au bijou classique, préférez la seconde main, ou optez même pour des marques utilisant des matériaux recyclés ou des gemmes de synthèse.

    En somme, vous pouvez trouver LE cadeau dans des alternatives durables. 

  • si l’expérience d’achat est très variable selon les cadeaux, vous pouvez toujours soutenir des commerces et artisans locaux, qui pourront parfois répondre de façon plus créative et moins normative à votre recherche du cadeau unique.

    Ces mêmes commerces ont généralement une visibilité moindre. Partager leur savoir-faire et la qualité de leurs produits sur vos réseaux sociaux ou dans une section avis, est un moyen plus puissant de donner du sens à votre achat. 


A nous autres, marketeur: l’ouverture à la diversité

En tant que marketeur, mais aussi citoyen, je vois dans les publicités actuelles un manque de réalisme quant aux enjeux de développement. L’instrumentalisation d’un concept aussi humain pour perpétuer un système où le pétrole, jusqu’aux bougies d'ambiance, est roi, me semble sans surprise peu éthique et durable. En imaginant un plan marketing et ses processus d’achat, voici quelques leviers pour limiter ce problème de positionnement.

  • selon votre géographie, intégrer des évolutions sociétales peut être un moyen de différenciation clé sur le marché.

    Prendre en compte la diversité des relations et des sexualités, tout autant qu’intégrer les dynamiques anti Saint Valentin et amicales - sans tomber dans l’hyper individualisme - peut être un positionnement différenciant.

  • Produit: Penser le produit avec des caractéristiques durables, par ses matériaux, sa réparabilité et sa durabilité.

    Promotion: intégrer au sein de la stratégie de communication la dimension originelle de la Saint Valentin, et rendre plus autonome le consommateur dans son processus de décision par la transparence des informations du produit vendu et des alternatives possibles

    Lieux et prix: dès lors que les produits de la Saint Valentin portent sur des secteurs foncièrement différents, ces deux critères amènent à une réflexion plus granulaire et précise


Pourquoi s’aimer à travers un produit ?

Les néo-traditions matérialistes de la Saint Valentin, des bijoux aux origines douteuses aux roses importées d’ailleurs, posent des défis écologiques et éthiques. Cependant, les tendances émergentes vers des cadeaux alternatifs et durables offrent une opportunité de repenser la façon dont nous célébrons l'amour. Pour les marketeurs, cela signifie adopter des stratégies inclusives et plus respectueuses de l'environnement. Et nous sommes enfin tous confrontés à ces injonctions en tant que consommateur. Il est donc clé de comprendre les enjeux systémiques sous-jacents à cette célébration, de chercher des alternatives propices au lien social et aux effet moindres sur l'environnement.

Sources:


(1) https://nrf.com/media-center/press-releases/valentines-day-spending-significant-others-reach-new-record-nrf-survey

(2) https://youmatter.world/fr/saint-valentin-ecologie-environnement-sante/#:~:text=R%C3%A9sultat%2C%20l%27impact%20carbone%20est,2500%20automobilistes%20en%20un%20an).

(3) https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/nature-saint-valentin-bilan-carbone-catastrophique-roses-heure-urgence-climatique-85728/

(4) https://www.hrw.org/report/2018/02/08/hidden-cost-jewelry/human-rights-supply-chains-and-responsibility-jewelry

(5) https://www.swissinfo.ch/fre/economie/l-industrie-de-l-or-s-attaque-%C3%A0-son-impact-%C3%A9cologique/48002334

(6) https://blogs.mediapart.fr/sara-calderon/blog/250222/saint-valentin-une-fete-capitaliste-et-patriarcale

(7) https://www.animalis.com/saintvalentin-animalis.html

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